Il est de ces livres qui vous passionnent et vous embarquent dès la première page.
Des livres que vous ne pouvez pas lâcher, qui vous instruisent tout en vous passionnants, qui vous font ouvrir des dizaines de pages Wikipédia sur divers sujets, et qui vous touchent.
Le cas Eduard Einstein en fait partie.
En ouvrant ce livre, on entre dans la vie de la famille Einstein.
Récit à 3 voix, on suit tour à tour l’histoire d’Albert Einstein qui n’est plus à présenter, de Mileva, sa première femme et de leur fils Eduard, atteint de schizophrénie à l’âge de 20 ans.
Tout en retraçant les grands évènements mondiaux entre 1930 et 1960 environ, nous suivons l’histoire de ces 3 personnes, liées par le sang mais dont les destins se révèlent très éloignés.
Albert Einstein, d’abord, savant, prix Nobel, juif forcé de fuir l’Allemagne Nazi pour les Etats-Unis où il ne sera pas mieux accueilli.
Albert quittera l’Europe ruiné. Pour lui est venu le temps de l’exil. Depuis qu’Hitler a pris le pouvoir, il est l’ennemi juré du régime.
Nous suivons son parcours, ses combats, sa vie publique et politique.
Puis nous découvrons cette autre facette de lui, celle de la peur, du regret, de la peine. Cette facette d’un père qui n’en est pas vraiment un.
Puis la voix de Mileva, cette femme forte et intelligente, dévouée à son fils.
Cette femme qui n’a aimé qu’une fois et qui voit son destin lié exclusivement à celui d’un fils schizophrène, qu’elle doit placer – trop tôt – à l’asile.
Elle aurait préféré prendre la place d’Eduard. Elle, la prisonnière, et lui, un homme libre. Lui dévalant la route et elle qu’on enferme. Il courrait à en perdre haleine. Tout en bas de la rue, il ne songerait déjà plus au mal qui a frappé sa mère. Il apercevrait le lac au loin, aurait envie de flâner sur la rive. Il songerait à sa mère, serait triste un instant. Une fille lui sourirait, il oublierait sa peine. Il rencontrerait un ami qui lui proposerait de faire un tour sur son voilier. Il partirait naviguer. Il s’étourdirait sous le vent.
Le sort en a décidé autrement. Il faut que ce soit elle à l’air libre, et Eduard qu’on enferme.
Enfin, celle d’Eduard. L’enfant d’Einstein.
Eduard, enfant intelligent, qui en veut à son père, dont on suit les allers et venues entre le Burghölzli, un asile psychiatrique de Zurich, et Vienne, en passant par des séjours chez sa mère et en famille d’accueil.
Aviez-vous déjà entendu parler de moi avant que je débarque ici ? Non. Je n’existais pas. Qu’ai-je fait pour ne pas exister ? Rien. Je n’ai rien pu faire. Il n’y a pas de place dans ce monde pour un autre Einstein. Je pâtis d’un trouble du culte de la personnalité.
Eduard dont on entend les voix qui le rongent, dont on voit les hallucinations qui le dévorent, dont on suit l’évolution et le chemin vers la folie où n’existe plus de sentiments.
Un jour, mon père travaillera sur mon cas. A quoi bon une telle intelligence si elle n’est pas mise au service de l’homme ? Celui qui a découvert les grands principes de l’univers ne peut-il travailler sur mon hémisphère droit ?
On suit leurs évolutions respectives.
Celles d’un homme qui ose braver de nombreux interdits et qui paraît sans failles, si ce n’est celle qui lui est personnelle, à savoir construire un lien avec son fils.
Il est question de courage. Il a eu tous les courages. Braver la Gestapo, soutenir, un des premiers, la cause des Noirs, aider à la création de l’Etat juif, braver le FBI, ne pas baisser l’échine, ne jamais renoncer, écrire à Roosevelt pour construire la bombe contre l’Allemagne et écrire à Roosevelt pour arrêter la bombe destinée au Japon. Soutenir les juifs opprimés par le Reich. Pétitionner. Etre en première ligne. Mais aller voir son fils est au-dessus de ses forces. Il a trouvé ses limites. Seul l’univers ne connaît pas de limites.
Celles d’une femme qui n’est plus. Qui devient mère avant tout.
Autour d’elle, les êtres ont fui. Ses enfants l’ont quittée. Hans-Albert, parti en Amérique. Eduard perdu dans son monde. Lieserl, dans l’au-delà.
Celles d’un fils qui subit des électrochocs, qui se cherche, qui essaye de comprendre.
Voyez plutôt avec mon frère. Je ne vous en voudrai pas. J’ai perdu mon amour-propre il y a longtemps. Il me semble que c’était pendant une séance d’électrochoc.
Et à travers ces 3 voix, ces 3 évolutions, beaucoup de sentiments nous assaillent… Peine, amertume, regrets, espoirs…
Un style magnifique, un récit extrêmement bien documenté, un livre qui nous transporte, qui nous parle de la politique d’immigration des USA durant la seconde guerre mondiale, qui nous révèlent le destin d’un homme connu et reconnu mais dont nous ne connaissons que peu la vie personnelle, et celui, surtout, d’une famille dont le destin tragique nous transporte.
Une histoire qui met certaines vérités en lumière, et qui ne peut que nous toucher.
Et j’ajouterai à titre personnel que la Suisse est un pays qui s’honore de traiter ses malades mentaux mieux qu’aucun autre. Allez, cher professeur, je serai ravi de signer l’acte de naturalisation de Hans-Albert Einstein et de le recevoir dans notre beau et grand pays. Tous les Einstein sont les bienvenus chez nous. Du moins, ceux qui ont la tête bien faite.
Un livre passionnant, un coup de coeur que je ne peux que recommander chaudement et qui me donne envie de découvrir « les derniers jours de Stefan Zweig » du même auteur.
Le cas Eduard Einstein – Laurent Seksik
Editions Flammarion – 304 pages